Alors que 2021 a été exceptionnelle partout en Europe, les immatriculations de tracteurs neufs ont traversé un creux en 2022. Les problèmes de livraison, résultant du conflit russo-ukrainien et – encore! – de la pandémie de Covid 19, n’y sont pas étrangers.
Selon les chiffres compilés par l’Association des constructeurs européens de machines agricoles (Cema), près de 215.000tracteurs neufs ont été immatriculés en Europe en 2022. En détail, 59.300engins affichaient une puissance inférieure ou égale à 50ch (37kw) tandis que 155.700véhicules dépassaient ce seuil. La Cema estime qu’un peu plus de 165.200 de ces engins sont des tracteurs agricoles à proprement parler (voir infographie); le solde étant constitué de quads, véhicules utilitaires (UTV), chargeurs télescopiques et autres équipements parfois classés par les autorités nationales comme tracteurs.
Les immatriculations de tracteurs agricoles ont reculé de 8,7% en un an. Il convient toutefois de préciser que 2021 avait été une année singulière en la matière. Exception faite de cette dernière, les chiffres enregistrés en 2022 sont les plus élevés jamais vus depuis 2017. Cette année-là, les ventes avaient atteint des sommets en raison de l’entrée en vigueur, le 1erjanvier 2018, de la «Tractor Mother Regulation». Pour rappel, ce règlement européen 167/2013 a obligé les constructeurs à doter les tracteurs de nouveaux équipements destinés à assurer la sécurité du chauffeur et des usagers de la route.
Les retards de production se poursuivent…
«Le nombre de tracteurs neufs immatriculés en 2022 aurait certainement été plus élevé si les chaînes d’approvisionnement mondiales n’avaient pas été perturbées», affirme la Cema. En effet, l’impact de la pandémie de Covid-19 se fait toujours ressentir tandis que le conflit russo-ukrainien n’a fait qu’aggraver la situation. Et cela, tant en matière de livraison des matières premières et composants que de hausse des prix.
L’impact des retards s’est progressivement atténué au cours de l’année. Toutefois, les perturbations susmentionnées, combinées à une forte demande, ont engendré des délais de livraison nettement plus long qu’habituellement. Début 2023, des délais de plus de six mois étaient encore annoncés par les constructeurs, contre deux à trois mois avant la crise sanitaire. Les niveaux de stock sont également inférieurs à la normale chez la plupart des concessionnaires européens.
Les constructeurs ont été affectés par les prix élevés de l’énergie. Ce qui a, inévitablement, entraîné une révision à la hausse des prix des machines agricoles, y compris les tracteurs.
Les prix des denrées agricoles dopent la demande
Malgré les difficultés évoquées, l’Association constate que la demande en tracteurs et autres machines agricoles reste forte en Europe. Elle explique cela par les prix élevés qu’ont enregistrés les productions agricoles tout au long de l’année 2022. Ceux-ci ont, certes, déjà baissé depuis l’entame du conflit russo-ukrainien mais demeurent supérieurs à leur niveau d’avant-guerre.
Ajoutons néanmoins que cette hausse des prix a été contrebalancée, pour les agriculteurs, par un phénomène similaire observé pour divers intrants tels que le carburant, les engrais ou encore les aliments pour animaux. Les prix étant susceptibles de rester volatils pendant un certain temps, l’avenir des revenus agricoles est très incertain.
La Cema constate encore que les conditions météorologiques extrêmes observées durant l’été 2022 ne seront pas sans conséquence sur les ventes de matériel agricole. «La majeure partie du continent européen a connu une vague de chaleur et des conditions sèches, mais la situation a été plus grave dans certaines parties du sud de l’Europe. Cela a eu un impact significatif sur les cultures, ce qui se ressentira sur la demande de tracteurs et autres engins, notamment en Italie, en Espagne et au Portugal», détaille-t-elle.
Les fortes puissances en tête
L’essentiel de la baisse des immatriculations entre 2021 et 2022 concerne les véhicules de moins de 130ch. Sous ce palier, la chute atteint 15,2% en un an. A contrario, pour les modèles plus puissants, les immatriculations affichent une progression de 3,7%. Ceux-ci représentaient donc 39% des immatriculations européennes en 2022, contre 35% un an plus tôt.
«Vu les retards de livraison, ces chiffres pourraient ne pas refléter avec exactitude la demande», alerte néanmoins la Cema.
France et Allemagne demeurent en tête
Les immatriculations de tracteurs agricoles ont diminué au sein des sept plus grands marchés européens en 2022. Malgré ce recul, ceux-ci représentaient toujours près de 75% des immatriculations (voir infographie). La France et l’Allemagne restent les leaders en la matière, approchant le seuil de 40% (21% pour la première, 17% pour la seconde).
En Allemagne, le nombre d’immatriculations a, une nouvelle fois, dépassé la barre des 30.000. Malgré un recul de 12,9% par rapport à l’année précédente, ce résultat reste remarquable si l’on examine les chiffres de plus près. En effet, le marché des modèles plus puissant (plus de 150ch) a progressé de 2,9%. Les modèles d’une puissance inférieure ont, eux, vu leurs ventes reculer, voire s’effondrer (-31,9% pour les moins de 50ch). Le mois de mars a été le plus fort en termes de ventes printanières (comme au cours des trois dernières années).
Du côté de la France, les immatriculations de tracteurs neufs se sont stabilisées en 2022, par rapport à 2021, à 35.577unités. Cette bonne performance est à mettre au compte des tracteurs standards (25.071unités, +2%) et de leurs homologues enjambeurs (576unités, +47%). A contrario, les modèles pour espaces verts, d’une part, et vignobles et vergers, d’autre part, ont vu leurs immatriculations fléchir de 8 et 14%. Sans surprise, des problèmes de livraison ont influencé les chiffres.
En Autriche, le marché accuse une chute de 14,4% par rapport à l’année «record» 2021 mais reste supérieur d’environ 21% à 2019, dernière référence pré-Covid. Sur place, les capacités de production ont été déployées à leur maximum (+6,4%) mais les problèmes d’approvisionnement et de disponibilité en pièces détachées pèsent toujours sur le secteur, de même que l’inflation, la volatilité des prix de l’énergie et les conséquences du conflit russo-ukrainien.
Italie, Espagne et Pologne s’effondrent
L’Italie, l’Espagne et la Pologne, qui avaient connu des immatriculations très élevées en 2021, ont enregistré des baisses encore plus importantes en 2022.
Plus précisément, en Italie, les chiffres montrent une contraction des immatriculations pour toutes les principales catégories de véhicules. Avec 20.217unités enregistrées, les tracteurs connaissent un recul de 17,1%. La baisse des ventes concerne surtout les véhicules de puissance intermédiaire, et en particulier les modèles entre 75 et 100ch, qui s’écroulent de 43,7%. Les tracteurs étroits ont reculé davantage que les modèles standards, mais l’augmentation de l’année précédente était plus élevée pour les premiers que pour les seconds. Sur place, cette tendance est qualifiée de «correction technique», après les hausses spectaculaires observées en 2021. Une fois encore, les problèmes d’approvisionnements et autres hausse des prix des matières premières et pièces détachées ne sont pas sans impact sur les chiffres.
Le marché des tracteurs, en Espagne, a chuté de 14,5% en 2022 (9.242unités si l’on exclut les véhicules à chenilles et autres véhicules avec homologation de type tracteur). La hausse des prix des productions végétales et animales a permis d’éviter une catastrophe financière, après une sécheresse qui a touché toutes les régions et toutes les cultures. Néanmoins, cette croissance a également été observée au niveau des prix des engrais et de l’énergie, comme partout ailleurs en Europe, et a, in fine, entraîné une révision à la baisse des investissements.
La mise en œuvre, en mai 2022, d’un plan de subventions visant à promouvoir les technologies d’agriculture de précision joue également un rôle dans cette tendance. En effet, les agriculteurs espagnols ont décidé de demander des subventions pour un total de plus de 120millions d’euros, alors que le budget initial était de 29millions d’euros. De nombreux candidats attendent toujours l’approbation potentielle de leurs demandes et le marché est manifestement affecté par les retards qui en résultent.
En Pologne, dès le début de l’année 2022, il était clair que la période serait plus difficile. Une chute de 17% des immatriculations de tracteurs a été enregistrée, pour un total de 11.727immatriculations agricoles. La crise qui touche le pays n’épargne pas le secteur des équipements agricoles. Aussi, le nombre de commande se réduit fortement et l’avenir est marqué d’un grand point d’interrogation.
Du côté du Royaume-Uni, les immatriculations de tracteurs agricoles de plus de 50ch approchaient, une nouvelle fois, les 12.000unités, ce qui semble devenir une référence. Le recul est relativement faible par rapport à 2021 (- 4%), mais les chiffres auraient pu être supérieurs sans les problèmes rencontrés à travers toute l’Europe. Si les commandes s’étaient traduites en immatriculations au même rythme qu’habituellement, on aurait pu s’attendre à ce que 4.000engins supplémentaires soient immatriculés, tant en 2021 qu’en 2022.
Et chez nous?
Enfin, en Belgique, les immatriculations de tracteurs agricoles ont atteint un total de 3.081unités, soit 11% de moins que l’année record 2021 (lire aussi Le Sillon Belge du 9février). Le marché des engins de plus de 50ch a fondu de 16% entre janvier et juillet 2022, par rapport à la même période en 2021. Toutefois, les bonnes ventes de l’automne ont permis de limiter la casse, ce qui explique la baisse finalede 6% pour ce segment. En ce qui concerne les modèles de moins de 50ch, en janvier 2022, il y avait 59% de tracteurs immatriculés en plus qu’en janvier 2021, ce qui s’explique en partie par les tracteurs livrés à l’automne 2021.
J. Vandegoor