Déjà bien présents dans le monde de l’élevage, les robots agricoles commencent à apparaître dans les fermes maraîchères. Des projets visent également à les faire travailler dans les exploitations « grandes cultures »… Signe que les progrès observés en la matière sont nombreux et rapides. Leur concrétisation dépendra néanmoins de l’accueil que leur réservent les cultivateurs.
Dans le domaine des productions végétales, la robotique tend à se développer ces dernières années, en témoignent les différentes solutions mises récemment sur le marché ou en cours de développement chez certains acteurs majeurs de l’agroéquipement. Et les enjeux sont nombreux : faire face à une pénurie de main-d’œuvre, réduire la pénibilité du travail et/ou l’utilisation de produits phytopharmaceutiques… C’est donc en toute logique que la Foire de Libramont a demandé à Jean-Michel Lebars, président de l’asbl française RobAgri, de dresser un état des lieux de la situation actuelle lors de l’Agr-e-Sommet « productions végétales » du 3 décembre dernier.
Un nombre croissant de concepts
« Le constat est simple : l’âge moyen des agriculteurs augmente et leur nombre recule d’année en année. Or, les besoins en nourriture, répondant à des standards de qualité bien précis, sont bel et bien les mêmes, voire en augmentation. D’où cette question : comment produire tout en faisant face à une diminution de la main-d’œuvre disponible ? », débute M. Lebars.
Et d’apporter une piste de réponse : « La robotique peut être une solution, parmi d’autres. De plus en plus de concepts se développent et sont commercialisés pour répondre aux problèmes que rencontrent les cultivateurs et éleveurs. Cette tendance ne pourra que se poursuivre dans les années à venir ».
Certains projets ont d’ailleurs marqué les esprits. C’est notamment le cas du tracteur autonome dévoilé par le groupe CNH en 2017 (sans cabine pour Case IH, avec pour New Holland). On voit également apparaître des robots porteurs, de taille moyenne et multitâches. D’autres acteurs misent sur des robots plus petits dédiés au désherbage, comme Oz commercialisé par Naïo Technologie, ou au semis, tel Xaver développé par Fendt (lire ci-après).
Certains constructeurs s’intéressent à la chaîne de production dans son entièreté, du semis à la récolte en passant par le désherbage, la fertilisation et la pulvérisation. C’est notamment le cas de Kuhn, qui a conduit un projet de ce type en 2018 en collaboration avec la start-up française Agreenculture. Sur une surface de 50 ha, dédiée au maïs, des robots porte-outils autonomes ont assuré le travail du sol, le semis, la fertilisation, la pulvérisation localisée et le désherbage mécanique de la culture. Soit cinq opérations, grâce au guidage gps et à l’utilisation de cartes de préconisation.
« La robotique s’attelle également à répondre à d’autres problèmes que celui de la pénurie de main-d’œuvre. La taille réduite des engins permet de limiter le tassement des sols, au bénéfice de leur qualité agronomique. Certaines opérations, telles que la pulvérisation et la fertilisation, gagnent aussi en précision. »
Trois grands types de robots
Jean-Michel Lebars distingue aujourd’hui trois types de robots agricoles mis sur le marché.
En premier lieu, on retrouve les engins spécialisés réalisant une voire deux opérations très précises. Ceux-ci ont pour avantage d’être moins coûteux à l’achat mais aussi à l’usage, car ils sont orientés « économie d’intrants ». Ils fonctionnent à l’électricité, pouvant être produite à la ferme, et peuvent être déplacés facilement de champ en champ sur remorque. Leur faible poids est un avantage en termes de préservation des sols mais aussi de sécurité de l’utilisateur. Pour ce dernier point, la faible vitesse d’avancement joue également en faveur de ces engins spécialisés.
« Cependant, leur rendement à l’hectare est faible. Plusieurs robots sont donc nécessaires si une productivité élevée est désirée », pointe-t-il. Une certaine organisation est encore requise pour assurer un bon déroulement des travaux sur l’ensemble du parcellaire.
Dans cette catégorie, on retrouve principalement des robots de désherbage inter et intra-rang, des engins dédiés à la pulvérisation localisée et des robots de semis.
Les projets et essais sont très nombreux. Résultat : les solutions viables s’améliorent et celles qui peinent à convaincre disparaissent.
Le marché accueille ensuite des robots polyvalents, de gabarit moyen. Au rang des avantages, citons tout d’abord leur flexibilité, tant en matière de tâches effectuées que d’outils attelables sur le relevage trois points. Comme leurs petits frères, ils peuvent être déplacés sur remorque et n’ont qu’un impact limité sur le sol. Leur autonomie est, cependant, supérieure.
Côté inconvénient, le souci d’organisation est le même. Question sécurité, le poids et la vitesse de ces engins sont plus élevés, ce qui requiert d’y être attentif.
Cette catégorie de robots regroupe principalement des porte-outils, souvent autonomes.
Enfin, viennent les tracteurs autonomes ou semi-autonomes. « Certains constructeurs misent sur le développement de ces engins. D’autres conçoivent des kits « autonomie » pour équiper les tracteurs déjà présents sur l’exploitation. »
Les avantages de ces tracteurs sont multiples. Ils sont polyvalents, comme un tracteur « normal », peuvent être déplacés d’un champ à l’autre en « conduite classique », peuvent être utilisés de manière conventionnelle, ce qui facilite leur amortissement, et conservent les automatismes existants, comme l’Isobus. Il est par ailleurs possible de les faire rouler en flotte. Un tracteur est alors le « maître » tandis que les autres se calquent sur lui pour effectuer le travail demandé.
On notera cependant que la sécurité est plus complexe à garantir au vu de la flexibilité que présentent ces engins. Des litiges peuvent également naître en cas d’accident survenant avec un tracteur rééquipé.
Des progrès rapides… mais aussi des freins
« Ces dernières années, de nombreuses avancées ont donc été observées en matière de robotique. On remarque d’ailleurs que les cultivateurs sont ouverts à l’innovation, voire demandeurs. Pourquoi ? Car la robotique est une réalité dans le milieu de l’élevage, en matière de traite et d’alimentation, mais aussi en raison du manque de main-d’œuvre auquel fait face la profession. »
On constate que les projets et essais sont très nombreux sur le terrain et ce, partout dans le monde. « Les solutions viables s’améliorent tandis que celles qui peinent à convaincre disparaissent. Les entreprises gagnent aussi en maturité. Cela génère une compétition saine entre les acteurs, source de motivation et de création. »
Enfin, la réglementation « machine » actuelle n’interdit pas l’utilisation de robots agricoles.
Cela ne doit toutefois pas occulter les freins auxquels le monde de la robotique fait face. « Premièrement, adopter ces nouvelles solutions implique de trouver un nouveau modèle économique, validant la plus-value des robots, mais aussi de repenser l’organisation des chantiers agricoles (semis, pulvérisation…). » Des volets digitaux doivent encore être mis en place, notamment en matière de liaisons numériques performantes, par le biais de la 5G par exemple. Les constructeurs sont également en attente de normes précises leur assurant une direction à suivre en matière de développement technologique.
« Les coûts de développement, très élevés, constituent un point de blocage important pour la filière », ajoute Jean-Michel Lebars. « Ils ne concernent pas uniquement l’engin en tant que tel, mais aussi la création d’une interface permettant son utilisation sûre et conviviale par l’agriculteur. »
Les concessionnaires et leurs employés devront, quant à eux, être formés à la mise en route et à la maintenance de ces robots. « On s’éloigne du tracteur, engin bien connu de tous. Des formations devront être prévues. » Et qu’en pensera la société civile ? « Les robots seront visibles de tous. Les citoyens seront-ils en accord avec cette façon de travailler ou s’y opposeront-ils ? »
Seuls les agriculteurs valideront les solutions
Vu l’état des lieux dressé par ce spécialiste de la filière, on peut affirmer que la robotique trouvera à coup sûr une place dans le monde de la mécanisation agricole. Cette place doit encore être définie mais sera certainement complémentaire à celle qu’occupe actuellement l’agriculteur. Dans un premier temps, on parlera probablement de cobotique (contraction de collaboration, entre l’agriculteur et l’engin, et robotique).
« Le développement de solutions robotiques demande une forte implication et la coopération de divers acteurs. Mais il convient de retenir que ce sont bien les agriculteurs qui valideront, ou non, les solutions mises sur le marché », poursuit Jean-Michel Lebars. Et d’ajouter : « Dans les cinq à dix années à venir, l’expérience acquise sur le terrain validera certaines propositions. D’autres seront écartées. »
En outre, le développement des réglementations nationales et européennes permettra aux constructeurs de travailler dans un cadre mieux défini. « Au-delà de l’aspect législatif, dialoguer avec la société sera essentiel pour faire accepter aux citoyens cette nouvelle manière d’envisager l’agriculture. »
J. Vandegoor